Commençons par revenir sur la genèse de ce jardin pas comme les autres. Le Jardin des Ronces est né en avril 2014, il y a bientôt 4 ans maintenant. Mais pour comprendre l’origine de sa création il faut remonté 18 mois auparavant, en septembre 2012. Un groupe d’amis décident de se lancer dans une aventure potagère collective. Par hasard, ils découvrent dans le quartier du Vieux-Doulon une maison abandonnée de longues dates et son petit jardin attenant, d’environ 15O m2. Ils se lancent alors dans la culture de ce jardin, et tissent progressivement des liens avec le voisinage.
Pas de chance, après à peine un an de jardinage, ils apprennent que le terrain a été vendu et qu’une maison va y être construite. On aurait pu croire à une fin prématurée de cette aventure potagère mais le destin en a voulu autrement : une voisine les orientent vers le curé de la paroisse car le jardin de l’ancienne cure de la Saint-médard est à l’abandon. La rencontre avec le prêtre est fructueuse, et rapidement, voilà le petit groupe se lancer dans cette seconde expérience potagère, sur cette parcelle qu’ils nommeront malicieusement « l’ébéché ». En échange, vu qu’il y a de beaux cerisiers et pruniers sur le jardin, un pot de confiture sera offert chaque année au prêtre !
C’est aussi le moment où ils commencent à mieux découvrir le quartier, certains de ses habitants, mais aussi les nombreuses friches présentes sur la zone. Une friche située en face du cimetière, à l’état sauvage depuis près de 40 ans, est repérée pour y établir ‘discrètement’ une sorte d’annexe du jardin car l’espace de culture de « l’ébéché » ne suffit pas pour y faire des cultures d’ampleurs.
Un chantier de défrichage est alors prévu sur la nouvelle parcelle pour y planter patates et oignons en quantité.
L’information est passée dans les réseaux de proches et de camaraderie et voilà que des dizaines de personnes viennent participer à cette nouvelle mise en culture ! Le projet urbain des Gohards est aussi découvert collectivement, analysé, rapidement critiqué, et l’envie de faire de cet espace un lieu collectif de résistance à ce projet émerge. Surtout qu’ au même moment, des membres de Sème ta Zad, groupement agricole œuvrant à Notre Dame des Landes dans la lutte contre le projet d’aéroport, cherchent à impulser des dynamiques d’occupations de terres agricoles dans Nantes. Nous allions alors nos forces pour renforcer cet élan naissant, et organisons un weekend de chantiers qui marquera le début de cette nouvelle aventure.
La découverte de l’ancien puits maraîcher sous un énorme bosquet de ronces au prix d’une réelle chasse au trésor apporte le dernier élément manquant : de l’eau ! Si bien qu’en plus des patates et oignons, maïs, tomates ou encore framboisiers sont aussi mis en terres… Ne restait plus qu’à trouver un nom à ce nouveau jardin : le Jardin des Ronces était né !
Le jardin étant né, il convenait dorénavant de mettre en place un fonctionnement collectif.
Assez naturellement, le nouveau collectif qui a commencé à cultiver ces terres n’a pas souhaité institutionnaliser cette espace auprès des pouvoirs publics. Nous souhaitions conserver une totale liberté de penser et d’agir sur cette zone. Un statut associatif n’avait donc rien à nous apporter, bien au contraire. Il n’était pas question non plus de privatiser cet espace à notre usage. Il semblait important que cette friche, pré-emptée de longue date et en cours de rachat par Nantes Métropole, puisse devenir un espace des communs propres à ses usagers. Et des usagers, il y en avait déjà, notamment des enfants qui venaient y trouver un espace de liberté (ce qui est toujours le cas) et parfois aussi des personnes sans domicile fixe qui venaient y passer la nuit. Ainsi, nous avons décidé de nous approprier une partie de cet espace tout en faisant en sorte qu’il soit toujours accessible à toutes sortes d’autres d’usages.
Cela n’a pas été toujours facile. Ce terrain étant un lieu libre de passage, et les jardiniers n’étant pas présents en continu, il a fallu régulièrement s’adapter à des imprévus, parfois même dur à dépasser, comme la dégradation du premier local que nous avions aménagé à l’entrée du jardin, ou l’incendie de notre cabane de jardin l’an passé. Mais la force collective a toujours permis de surmonter ces obstacles. Quelques vieux matériaux récupérés, un peu de bricolage et hop, c’est reparti de plus belle. Avec le temps, on observe tout de même que notre usage de la parcelle est plus respecté, les aléas moins fréquents.
Ce potager étant collectif, il nécessite donc une forme d’organisation particulière.
Nous sommes bien loin du fonctionnement des jardins familiaux dont la liberté laissée aux jardiniers est beaucoup moins importante. Ici, tout se construit et s’invente en continu. Ce fonctionnement a évolué au cours des années mais s’est toujours basé sur des pratiques autogestionnaires. La vie du lieu ne repose que sur l’implication de chacun et chacune. Il n’y a pas de rapport hiérarchique, chaque personne a le même poids dans les décisions, et tout personne qui vient au jardin peut intégrer le collectif et participer à l’organisation. Il n’y a même pas de quelconque inscription. En font partie ceux qui viennent, tout simplement.
Cela ne veut pas pour autant dire qu’on peut y faire n’importe quoi. La prise en compte de l’autre est indispensable. On tient notamment à ce que cet espace soit non discriminant, que ce soit pour des questions de situation sociale, de race ou de sexe par exemple. De grands mots pour dire simplement qu’ici, on tente de créer un espace où chacun est respecté dans ce qu’il est, où on essaie de dépasser les préjugés et représentations, où la dimension humaine est finalement tout aussi importante que l’aspect jardinage.
Les décisions se prennent en Assemblée Générale qui ont lieues un dimanche par mois. On y parle de tout ce qui est lié à la vie du jardin, de l’attaque du vers du poireau à la plantation à venir de patates, ou encore de la trésorerie. Et oui, parfois on a besoin d’argent pour acheter des graines ou de la paille. Autant dire qu’on ne se ruine pas puisque l’activité du jardin est totalement financée par les bénéfices de la fête du jardin dont nous reparlerons après. Les arbres fruitiers que nous allons planter ont d’ailleurs été acheté avec cet argent. Mais ces réunions sont aussi l’occasion de parler de pleins d’autres choses car comme nous allons le voir, cet espace a différents autres usages !
Premier usage, et bien sûr un des principaux, le jardinage.
Il existe quelques parcelles individuelles, mais la plupart du terrain est cultivé collectivement. Le dimanche après-midi est aussi notre jour principal de rendez-vous pour jardiner ensemble. En ce moment, on vient aussi le jeudi après-midi, et plus irrégulièrement les autres jours. Il nous reste encore à améliorer notre fonctionnement pour que chacun puisse venir jardiner seul de manière autonome car beaucoup arrivent au jardin en tant que débutant, et la transmission ne peut se faire en quelques jours ! Et régulièrement on organise des chantiers collectifs où on fait passer le message dans nos réseaux, comme le fameux chantier ‘patates’ début mai qui rassemble toujours des dizaines de personnes.
L’un des objectifs est donc de produire collectivement nos propres légumes, bios bien sûr. Nous cultivons dorénavant toute une variété de légumes en fonction de ces saisons, et notre serre montée le printemps dernier nous permet même désormais de prolonger un peu les saisons !
Nous cultivons dans l’idée de tendre vers une autonomie légumière mais on a encore du chemin à parcourir. Les récoltes ne sont pas toujours à la hauteur des espérances, mais avec le temps, nos méthodes de cultures s’affinent et commencent à donner de meilleurs résultats. Il faut dire que jardiner sur une terre aussi sablonneuse n’est pas l’idéal quand on cultive sans engrais chimiques et sans arrosage automatique. La terre est assez pauvre et sèche très rapidement. Les maraîchers de l’époque, sans doute par manque de temps pour aller à la plage, se plaisaient à ensabler la terre pour la rendre plus facile à travailler, puis il la nourrissait au fumier. Les légumes étant parfois bien maigres, on a vite compris que nous aussi nous devions nous organiser pour amender le sol. Pas une mince affaire sur une zone où le dernier paysan est décédé il y a quelques années. Mais progressivement, nous avons réussi à nous approvisionner en fumier, compost et paille. Et pour l’arrosage, l’huile de coude est notre première ressource, et même si l’efficacité n’est pas des plus grande, c’est toujours un plaisir de remonter l’eau du puits avec un simple seau, une corde et une poulie. Et puis le paillage nous permet de conserver un minimum d’humidité dans le sol.
Il y a aussi plein de choses que l’on expérimente encore peu et que l’on souhaiterait développer, comme l’utilisation de variétés anciennes, la reproduction de nos propres graines, la fabrication de de différents purins pour amender et traiter,… pleins de projets en perspectives !
Vous l’aurez compris, cet espace a donc aussi usage d’expérimentation et d’apprentissage.
On apprend à jardiner en fonction d’un certain éco-système, on se transmet mutuellement des savoirs-faire. Un lieu d’apprentissage qui peut même aussi servir de passerelle pour certains avant de se lancer dans des parcours de maraîchage plus professionnels. Nous sommes aussi en lien avec une école du quartier pour y effectuer des visites de classes prochainement, dans cette optique d’apprentissage et de transmission.
C’est aussi un espace d’expérimentation pour pleins d’autre chose que le jardinage. Certains y apprennent l’apiculture, même si les deux ruches présentes souffrent de la forte présence du frelon asiatique. D’autres expérimentent la construction, souvent à base de récup’, comme pour monter notre cabane de jardin, notre préau, ou encore ce qu’on a appelé un ‘tour à feu’ pour des veillées au coin du feu. Dernière construction en date : un four à pain traditionnel en pierre, réalisé en totalité avec de la terre et des pierres présentes sur la parcelle, et qui nous permet là aussi d’expérimenter la fabrication du pain, et la cuisson de différents plats que l’on partage bien sûr ensemble.
Le jardin des ronces est donc aussi un lieu de sociabilité dans le quartier.
Chacune des activités que nous effectuons permettent échanges, rencontres et découvertes, et nombreuses sont les personnes qui osent franchir l’entrée de ce mystérieux jardin. A chaque fois, des rencontres nouvelles qui donnent une nouvelle touche à l’histoire du lieu. La force et l’originalité de cet espace réside sans doute en ce point. Rare sont les endroits en Métropole où peuvent se mélanger des personnes si différentes. La chauffe du four à pain réalisée régulièrement le dimanche depuis cet été est un des moments forts de convivialité au jardin. Aussi, la présence pendant plus de deux ans de dizaines de personnes exilées dans l’ancien presbytère du Vieux-Doulon a été très riche en rencontre. Certains d’entre eux venaient régulièrement se promener ici, discuter, jardiner, ou juste se reposer. Comment oublier les bons repas qu’ils avaient préparés pour la fête du jardin, ce fameux rassemblement festif que nous organisons chaque année au mois de juin.
Car oui on peut dire que ce jardin a aussi un usage culturel.
Autour d’une programmation riche en musique, théâtre ou encore conférence gesticulée, ce sont des centaines de personnes qui se retrouvent chaque année en juin sur ce terrain dans une ambiance magique. Les bals trad’ sont même devenus une tradition du lieu ! Une petite scène bricolée, un hangar nettoyé, des poutres transformées en bancs, des toilettes sèches, un bar à prix libre, une tireuse à bière, des jus fabrication maison, un groupe électrogène, une belle déco, quelques guirlandes, des artistes qui viennent jouer en notre soutien et c’est parti ! Une belle fête populaire comme on en voit de moins en moins. L’occasion aussi de partager cet espace avec des personnes en situation de précarité, si souvent laissées pour compte habituellement.
En effet cette parcelle est aussi un lieu de vie
Pour certaines personnes qui trouvent ici un lieu refuge malgré des conditions matérielles très difficiles. Nous n’exposerons pas plus leur situation publiquement mais simplement nous souhaitons dire que nous apprécions partager cette expérience humaine avec eux.
Plus anecdotique, Nantes Métropole a osé envoyé au jardin toute une équipe de tournage qui cherchait un décors ‘squatt’ pour une série policière tournée exclusivement à Nantes et qui passera bientôt sur France 2 ! Avouons-le, les pouvoirs publics sont quand même très forts, ils arrivent même à valoriser des terrains squattés quant il s’agit de mettre en avant l’image de la ville ! Nous n’étions bien sûr pas au courant, et sommes arrivés un peu tard. Dommage, mais on a quand même pu dire au chef de tournage ce qu’on en pensait.
Enfin, vous l’aurez compris, le jardin des ronces est aussi un lieu à usage ‘politique’ au sens premier de participation à la vie de la cité.
Tout ce qui a été dit avant suffit presque à le justifier. A notre manière, nous faisons de la politique, pas au sens politicien, mais juste au sens noble du terme qu’il convient de faire revivre. En plus de participer à la vie du lieu et plus globalement à celle du quartier, ceci se traduit par notre mobilisation contre le projet urbain des Gohards. Plusieurs réunions publiques indépendantes avaient été organisé au jardin durant les deux premières années, l’occasion de discuter librement de ce projet en dehors des circuits biaisés de la concertation. Depuis, nos énergies ont plutôt servi à poursuivre l’implantation du jardin. Celui-ci s’étant désormais structuré et le projet urbain avançant, il convient dorénavant de repréciser notre positionnement, et comment nous envisageons nous battre pour changer l’avenir métropolitain promis à cette zone (cf texte ‘Comprendre la ZAC des Gohards pour mieux y résister »).