Ce dimanche 12 octobre 2014, c’est la deuxième fête du Jardin des ronces dans le quartier Vieux-Doulon, rue de la Papotière, en face du cimetière. La première avait eu lieu fin juin (1), deux cents à trois cents personnes étaient passées dans ce dimanche ensoleillé. En ce début octobre, le temps agité, humide et bientôt orageux, n’a pas vraiment découragé les jardiniers, ni même les nouveaux visiteurs, avertis de la fête par un joli petit tract et son très joli texte dans leur boite aux lettres. Pourtant, il faudra faire savoir qu’il y a sur le terrain un grand bâtiment permettant de se réunir à l’abri de la pluie : dans le jardin, on craint dégun. Plusieurs centaines de fraisiers ont été donnés par un maraîcher de la périphérie nantaise, nous commençons à les planter entre le grand repas partagé et le début de la réunion. La terre maraîchère est vraiment spécifique, on s’en aperçoit à chaque fois. Les pommes de terre ont été récoltées et sont stockées dans le local du jardin. Dernières tomates, poireaux, choux, beaucoup de fleurs encore, quelques écossages de haricots noirs magiques. Le potentiel du jardin est à peine effleuré, caressé, déjà enchanté. De nouveaux débroussaillages ont eu lieu, on parle de se faire prêter un motoculteur. Et pourquoi pas un âne, pendant qu’on y est ?
Vers 15 heures, la réunion commence. Nous sommes une soixantaine, assez mixtes et même assez jeunes, assis en cercle. Des gens du quartier, des gens des jardins (celui-ci, celui du presbytère, celui de Couëron), des gens d’autres quartiers de la métropole, les échelles d’intérêt sont bien nombreuses dans ces histoires de jardins nourriciers et de ZAC. Un premier temps de la réunion-discussion porte sur le jardin lui-même : retour sur son émergence, dans cette parcelle, en avril 2014, d’abord sans eau, en se limitant aux patates et aux oignons, puis avec la découverte et la remise en état du puits, ouverture d’un potentiel potager infini. Le jardin est en friche depuis une trentaine d’années. C’est une occupation illégale, qui se pensait sur des terres déjà préemptées par la collectivité, mais qui sont en réalité toujours propriétés privées. Les propriétaires ont été contactés : ils laissent faire, découvrent la chose. Pour eux, à l’instant, cela ne change rien. C’est aussi un jardin biologique, sans pesticides, l’idée s’est imposée elle-même sans débat. La démarche collective aussi, les parcelles sont cultivées en commun, avec un régime d’abondance (il n’y a pas de comptage des apports et des sorties du jardin, ni de vente), mais quelques personnes ont créé leurs propres parcelles et il y a de la place pour tout le monde. Pas non plus d’organisation resserrée, le collectif se réunit plus sérieusement le troisième dimanche de chaque mois, après le repas, et se voit surtout au fil des jours en jardinant. Tout engagement est bienvenu : le lieu est ouvert sur le quartier avec sa belle signalétique en bord de trottoir et les contacts sont réguliers avec les voisins. Les usages sont multiples : on jardine bien sûr, mais on promène aussi son chien, les enfants viennent jouer et déconner, on peut faire un barbecue, la sieste, du bricolage, etc. Une mailing-list et une newsletter, la marche à pied jusqu’au jardin et la parole : il y en a pour tous les goûts. Ceux et celles qui veulent savoir et participer peuvent passer au jardin ou écrire à lesronces@riseup.net. On recherche toujours des outils, une pompe manuelle pour le puits, de la vaisselle pour les repas partagés. On remercie tous ceux qui ont aidé au démarrage, qui ont filé un coup de main, ont échangé quelque chose avec le Jardin des ronces.
On parle maintenant du projet de ZAC, 180 hectares inscrits dans le périmètre dont 80 en zone boisée. Il s’agit d’une réserve foncière ancienne, et aussi d’un projet qui s’inscrit dans la continuité de la ZAC Bottière-Chénaie (toujours en cours), dans un vaste et ambitieux projet de transformation et d’urbanisation de tout Nantes-Est. On essaye d’abord de faire un état des lieux à peu près clair, et ce n’est pas toujours facile. La question du prix d’achat des terres par la collectivité dans la ZAC n’est pas résolue. Quelqu’un explique aussi l’intérêt de la ZAC et de la réserve foncière, deux outils urbanistiques prévus pour lutter contre la spéculation. Mais la ZAC n’est qu’un outil justement, ce sont les politiques et les rapports de force qui font son usage réel. On précise qu’il n’existe aucune enquête publique à ce stade. La loi oblige la collectivité à une simple concertation et lui laisse le choix des modalités d’organisation de la concertation. On en rit d’avance. Nous sommes un certain nombre à avoir tenté « d’être concerté ». Le métier d’habitant n’est pas si facile, messieurs-dames, tentons une synthèse des récits.
La concertation a été ouverte par la réunion publique du 26 juin 2013 et se terminera par une réunion publique de bilan, début janvier 2014. Le dispositif de concertation est accessible dans deux mairies annexes, celle de Doulon et de la Bottière. Nous découvrons dans un petit dossier cartonné que l’on nous prête, sans doute par erreur, le détail de la concertation telle qu’elle est prévue à l’origine par la collectivité :
deux réunions publiques, une expo explicative de quatre + un panneaux, la mise à disposition d’un registre d’observations et des permanences à la mairie de Doulon (dont les périodes sont à définir).
Les agents des deux mairies annexes ne sont au courant de rien, peinent à trouver le registre. L’exposition bloque une porte et seuls deux panneaux sont réellement visibles. On consulte le registre dans des conditions d’inconfort étonnantes. On se renseigne sur les permanences et on croit comprendre qu’elles n’ont jamais eu lieu. On comprend que la volonté affirmée de « porter le projet devant les habitants, d’informer et d’expliquer pour faire participer » est une farce. La consultation est conçue pour échouer. Bien vu !
À Doulon, onze contributions en un an et demi, à la Bottière, une seule !
Les douze contribution portent sur des demandes d’échange de parcelles avec Nantes Métropole, de gens qui s’inquiètent de la bétonnisation et de la prolongation de l’esthétique Bottière-Chénaie, du futur chantier et des hauteurs, se demandent s’ils vont pouvoir conserver leur maison ou veulent connaître la date de la prochaine réunion publique.
Un peu plus loin, toujours dans ce mail que nous n’aurions pas du lire, navrés par le cynisme de cette concertation insincère, engagée sans moyens, ni volonté politique, nous découvrons que pendant ce temps-là, les études et le projet avancent souterrainement. Tel quel, on recopie ci-dessous.
Calendrier du projet – études pré-opérationnelles
Janvier à mars 2013 – PHASE 1 / analyse urbaine et paysagère
Avril à décembre 2013 – PHASE 2 / conception urbaine et paysagère
Janvier-Juillet 2014 – PHASE 3 / faisabilité et bilan
Début 2015 : bilan de la concertation et création de la ZAC.
Il y a donc des études pour concevoir la ZAC qui devraient en tout gros bon sens être livrés à la populace et la concertation, si tant est que celle-ci ait vraiment lieu. Cette concertation pour rire évoque de récents travaux en sciences sociales sur les faillites totales ou partielles des dispositifs dits participatifs (2), qui sont utilisés de manière instrumentale comme « opérateurs de réduction de la conflictualité ». Oui, même habitués du participatif « à la nantaise » (et même « à la française »), certains en restent pantois, car on comprend bien que tout est déjà écrit, dit, proclamé. On pense pour nous, il ne s’agit que de nous faire accepter un projet et nous n’avons aucune place dans ce dispositif de concertation, pure fiction politico-administrative. Certains disent que ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est le jardin entre train de se faire, la rencontre, le partage et le faire-ensemble. La vie. « Faire quartier », ici, et le jardin collectif en est une belle manière qui permet à des gens très différents de vivre et travailler ensemble. S’emparer de son quartier et le faire vivre, faire quartier. Un temps de débat discute même le mot de « résistance », car tout le monde n’est pas d’accord sur le sens de ce mot. Quoiqu’il en soit, un autre dit « les combats qu’on perd, c’est ceux qu’on fait pas ! ». Et à qui de s’y mettre ? Plusieurs jardiniers disent que le Jardin des ronces n’est pas là pour porter la parole du quartier, il n’est pas l’avant-garde légumière, il est un jardin, un lieu, une possibilité. C’est à ceux et celles qui le veulent de mettre la main à la ZAC. D’autres parlent de combiner le jardin et autre chose, les idées, les contre-propositions, la contre-expertise. Installer des jeunes en maraîchage, tenter de nouveaux modes d’habiter.
On parle aussi beaucoup de l’écoquartier Bottière-Chénaie, qui semble ne pas avoir bonne presse chez des gens pourtant très différents et pour des raisons différentes, et aussi de la métropolisation. « Qui y vit vraiment ? » demande quelqu’un. Mais nous ne sommes pas sans savoir des choses. Le thème de la malfaçon bien sûr, mais aussi le concept même d’écoquartier, en quoi est-il ce que l’on nous dit qu’il est, des récits ou enquêtes ont commencé ce travail (3). L’écoquartier est-il la poursuite de l’urbanisme autoritaire et concentré, restreignant toujours plus l’autonomie du « logé » ? Il faudra en discuter, que les figures de l’habiter s’expriment dans leur diversité. L’idée d’une visite du quartier est évoquée (après les belles explorations ensoleillées dans le
quartier de Doulon). À une autre échelle, les contradictions et l’imposition autoritaire de la métropolisation sont rappelés de différentes manières. Doit-on vraiment créer autant de logements, doit-on vider des territoires pour en remplir d’autres ? Que veut dire créer du « logement abordable » quand le processus métropolitain se présente d’abord comme une énorme bulle immobilière ? Le réseau associatif Écopole (4), selon l’un de ses membres présent, serait lui-même en train de se poser la question de la densification, de son opportunité. Après « résistance », c’est le mot « négociation » qui est discuté. Finalement, c’est dans ce Jardin des ronces que se déroule la concertation de la ZAC !
On rappelle aussi que la loi oblige tout projet de ZAC à être en conformité avec les documents d’urbanisme d’échelle supérieure et notamment, le Schéma de cohérence territoriale (Scot). Mais, dans ce Scot, et dans tous ces discours métropolitains, les contradictions des principes éclatent à la figure des habitants comme des grenades de désencerclement. Les documents proclament simultanément la nécessité de densifier et d’urbaniser en même temps que de préserver l’espace agricole en zone métropolitaine. Les incohérences de la métropolisation se lisent à concertation ouverte dans ce projet de ZAC. Un patrimoine de terres maraîchères exceptionnel en qualité et quantité, situé en zone centrale d’agglomération (de part et d’autres du périphérique), que l’on voudrait bétonner et lotir, alors même que tant d’autres projets de construction sont en cours, que la crise fait rage et qu’on communique à longueur de temps sur l’agriculture urbaine. Une nouvelle réunion est fixée au même endroit, le dimanche 9 novembre à 14 heures.
Vive le Jardin des ronces.
Notes:
1- Lire Un dimanche au « Jardin des ronces », dans le quartier du Vieux Doulon, entre le presbytère et le périphérique, récit du 29 juin 2014.
2- Par exemple, L’implication des habitants dans la fabrication de la ville, métiers et mise en question, Biau et al., 2013, Ramau 6, éditions de la Villette.
3- Sur Bottière-Chénaie, la revue Z, n° 4, automne 2010 « Nantes. L’écologie de marché ».
Sur plusieurs écoquartiers en France, dont celui de Bottière-Chénaie, Fabrication et usage des écoquartiers. Essai critique sur la généralisation de l’aménagement durable en France, 2014, Vincent Renault, Presse polytechniques et universitaires romandes.
4- http://www.ecopole.com